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Protestantisme libéral

 

André Gounelle

doyen émérite de la Faculté de théologie protestante de Montpellier

 

 

 

30 septembre 2010

Introduction

Je commence par une remarque introductive sur l’adjectif « libéral » qui, dans le contexte actuel, fait difficulté. En effet, depuis une trentaine d’années, le vocabulaire politique et économique, utilise le mot libéralisme pour désigner le « laisser faire », le refus des réglementations, le rejet des contraintes et des contrôles, ce qui conduit, disent les adversaires du libéralisme ainsi compris, à favoriser une sorte de jungle où les plus forts écrasent les plus faibles. Mais dans la langue politique classique, libéralisme a un tout autre sens : il signifie la défense de la dignité et la promotion de la liberté de chaque être humain, à la fois contre un dirigisme ou un collectivisme despotiques et contre un « laisser faire » ou une permissivité anarchiques. L’autoritarisme et le laxisme mettent l’un et l’autre la personne en danger ; elle souffre tout autant de l’excès que de l’absence de contraintes. Le libéralisme, au sens classique, s’oppose à l’un comme à l’autre.

C’est en ce sens classique qu’on parle de « protestantisme libéral ». Il affirme que la foi est une affaire personnelle et libre ; qu’il appartient à chacun de la penser et de l’exprimer à sa manière. Les disciplines, les cérémonies et les formulations ecclésiales ont de la valeur dans la mesure où elles aident les croyants (elles le font dans bien des cas), mais elles ne doivent pas devenir des fardeaux à porter ou des prisons qui enferment la pensée (ce qui arrive trop souvent). Sans cesse, il faut les réévaluer et souvent les réviser ou les réformer.

 

Orientations libérales

Cette précision introductive faite, je vais maintenant essayer de décrire à grands traits le protestantisme libéral. À mes yeux, il ne se caractérise pas tellement par des positions (il existe une grands diversité d’opinions et de tendances parmi les libéraux) que par des préoccupations et des orientations communes, dont il essaie de débattre aussi fraternellement que possible avec tous les chrétiens, y compris ceux qui ne sont pas libéraux. Le dialogue à l’intérieur de l’église mais aussi au dehors, avec ceux qui ne se réclament pas de Jésus Christ ou de l’évangile, lui paraît essentiel.

Je vais indiquer cinq grandes préoccupations et orientations qui me paraissent importantes.

 

Foi et réflexion

Première préoccupation : comprendre ce que l’on croit ; le protestantisme libéral souhaite un foi réfléchie ou une réflexion croyante.

Ce souhait ne va pas de soi. Pour beaucoup, la foi implique une rupture avec les logiques humaines, un saut dans l’irrationnel, l’acceptation de mystères inexplicables. Une célèbre formule de Pascal oppose le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » au Dieu « des philosophes et des savants ». Dans cette perspective, certains croyants demandent à l’intelligence de se soumettre et aux fidèles de « s'abêtir », selon un mot terrible du même Pascal. Ils ont fait l’éloge de la « sainte ignorance » et de la « foi du charbonnier ». La ferveur leur paraît préférable à la pensée.

Le protestantisme libéral se soucie au contraire de jeter des ponts qui mettent en relation la foi avec la pensée et les connaissances humaines. Il ne nie pas qu’il y ait du mystère et ne prétend pas que tout soit compréhensible. Néanmoins, sans confondre la foi et la raison, il cherche à les faire converger et se rencontrer. Comme l'écrit Paul Tillich : « Contre Pascal, je dis : le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et le Dieu des philosophes est le même Dieu. »

Albert Schweitzer illustre bien cette première orientation. Il souligne que la religion a besoin de la pensée pour ne pas s’égarer ni se rabougrir. La spiritualité trouve dans la réflexion une alliée précieuse, voire indispensable et non une ennemie. La raison bien conduite reconnaît que quantité de choses lui échappent. Elle accepte ses propres limites et admet l'existence de dimensions qui la dépassent. Elle renonce à tout impérialisme. En même temps, elle entretient un esprit de critique et d'ouverture. Elle empêche de croire, de dire ou de faire n'importe quoi. Jésus nous demande d’aimer Dieu non seulement de tout notre cœur et de toutes nos forces, mais aussi de toute notre pensée. Loin d'affaiblir et de menacer la foi, la réflexion l'approfondit et la consolide. Elle constitue la meilleure défense contre les extrémismes et les fanatismes qui guettent et menacent toujours la religion.

 

Une lecture informée et savante de la Bible

Deuxième préoccupation, celle d’une lecture informée et savante de la Bible. Longtemps, sans se demander d'où elle vient ni comment elle nous est parvenue, les chrétiens ont vu dans la Bible un livre homogène, au texte certain, clair, transparent, ayant un caractère sacré et revêtu d'une autorité surnaturelle et absolue. Implicitement, parfois explicitement, on considérait que Dieu l’avait directement dictée et en était le véritable auteur. Le travail des historiens, depuis deux siècles, a fait découvrir qu'elle est l'œuvre d'individus, de groupes et de communautés ; elle exprime leurs expériences, leurs sensibilités, leurs conceptions, voire leurs superstitions ; elle est diverse, parfois contradictoire et sou vent énigmatique.
Quand on voit dans le recueil biblique non plus une révélation divine in faillible, mais un témoignage humain imparfait rendu à une authentique expérience spirituelle de rencontre avec Dieu, la lecture qu'on en fait de vient critique. Critiquer ne veut pas dire nier ou détruire, mais opérer un discernement. La critique biblique s’efforce de distinguer le message qui est proclamé du langage qui l'exprime.
Bien des pages de l’Ancien et du Nouveau Testament sont des contes, des fables, des légendes ou des mythes. Cela ne veut pas dire que ces pages ne valent rien, qu’elles sont bonnes à jeter, mais qu’on doit les lire non pas comme des récits historiques ou des comptes-rendus scientifiques, mais comme des paraboles.
Personne ne se demande s’il y a eu vraiment un jour un bon samaritain qui s’est occupé d’un blessé sur la route de Jéricho à Jérusalem ; que l’histoire du fils prodigue soit une invention ou qu’elle se soit effectivement passée n’a aucune importance. Seul compte le message que Jésus nous délivre en racontant ces histoires. Il en va de même pour les textes qui parlent de la création du monde ou de la naissance de Jésus : il faut les lire, les recevoir, les comprendre comme des paraboles qui ne relatent pas des faits arrivés, mais qui délivrent un enseignement ou un message sous la forme imagée d’un récit.

Cette lecture critique de la Bible en détruit-elle l’autorité et ébranle-t-elle la foi ? Le protestantisme libéral ne le pense pas. En fait, ceux qu’on appelle des « créationnistes » parce qu’ils défendent une lecture littérale du premier chapitre de la Genèse, quelle que soient leur ferveur et leur sincérité, je ne les met pas en doute, ne nuisent-ils pas plus au christianisme et ne rendent-ils pas plus fragile la foi que ceux qui y voient des mythes à interpréter ? La lecture critique, dans un premier temps, secoue beaucoup de gens, c’et vrai ; mais, le choc une fois passé, on s’aperçoit vite qu’elle enrichit et approfondit notre compréhension de la Bible, Loin de nuire à son autorité, elle la sert en montrant le sens exact et la valeur juste de ce qu’elle apporte. Elle nous fait passer d’une lecture passive à une lecture active qui nous met sans cesse en quête du sens.

 

La nature de la doctrine

Troisième type de préoccupation et d’interrogation : l’autorité à accorder aux grandes doctrines chrétiennes, la nature des affirmations religieuses que les églises considèrent comme fondamentales et qui, pour elles, définissent la vérité.

Pendant longtemps a dominé une conception « objective » (on dit aussi « réaliste ») de la vérité qui la définit par la correspondance exacte entre le discours et la chose dont il parle. Un discours juste reflète la réalité comme un miroir ou la représente comme une photographie. Une affirmation est vraie quand elle décrit son objet tel qu'il est en lui-même. Les églises, les protestantes et la catholique, ont alors la conviction plus ou moins forte que leurs dogmes définissent exactement la nature profonde, l'essence intime ou la substance même de Dieu. Le croyant doit donc accepter ces dogmes avec soumission, sans rien y changer. S'il les comprend, tant mieux. S’ils lui sont inintelligibles, qu'il se soumette, mais qu’il n’essaie pas de les discuter ou de les modifier. La vérité ne dépend pas du sujet.

À la suite de Kant, la réflexion philosophique opère un renversement : elle souligne que notre description et notre analyse des objets dépendent tout autant de ce que nous sommes que de ce qu'ils sont. Avec des yeux différents, nous les verrions autrement. Nous les percevons à travers les « lunettes » de notre esprit qui tiennent à la constitution de notre être. Notre discours ne parle pas des choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles qu’elles nous apparaissent en fonction de ce que nous sommes et de la situation où nous nous trouvons. Nous n’avons accès qu’à des vérités relatives, relatives autrement dit relationnelles. Elles naissent de la rencontre et de l'interaction entre un sujet connaissant et un objet connu, et le premier y joue un rôle au moins aussi important que le second.

Ce qui va conduire dans le domaine religieux à estimer que nos doctrines ne parlent pas de l'être de Dieu tel qu’il est en lui-même, mais de la manière dont il nous touche, nous atteint et s'inscrit dans notre existence. Du coup, quand l'expérience et la pensée des hommes se modifient, les doctrines doivent se transformer. Par exemple, lorsque les conciles des quatrième et cinquième siècles rédigent les doctrines trinitaire et christologique, ils utilisent les notions et concepts de la pensée hellénistique (en particulier du néoplatonisme). Ils ne disent pas la même chose que la philosophie de leur temps, mais ils en reprennent le vocabulaire et s’occupent de la « substance », de la « nature » et des « instances » de Dieu. Ce langage date, nous ne le comprenons plus guère et il ne correspond plus à la pensée de notre époque. Au lieu de maintenir les formules anciennes, il convient d'en trouver de nouvelles, mieux adaptées à notre contexte, en sachant qu'elles seront, à leur tour, critiquées et révisées.

Selon l'orthodoxie chrétienne, les dogmes sont des énoncés absolus et définitifs. Ils sont vrais en eux-mêmes et leur valeur ne dépend pas de celui qui les énonce, de son langage, de sa culture, des événements et des situations. La théologie libérale, au contraire, ne voit pas dans les dogmes des vérités absolues qu'il faut nécessairement croire qu'on les comprenne ou non. Pour eux, la doctrine tente de penser de manière cohérente ce qu’on croit, elle donne une formulation réfléchie à ce qu’on vit dans l'expérience croyante. La doctrine n’est pas un objet de foi, elle est une expression relative de la foi ; elle ne dit pas ce qu’est Dieu, mais comment il nous atteint, comment nous le percevons. Et il faut accepter que cette perception change selon les époques, selon les personnes, selon leurs expériences et aussi selon le moment de leur vie.

Je vais me servir d’une comparaison pour éclairer ce point. Prenons des cartes de géographie. On en a besoin pour se situer et s'orienter, mais aucune n'est totalement juste, parce qu'elles figurent toutes une sphère, le globe terrestre, sur une surface plane. À la fois, elles traduisent et déforment la réalité qu'elles veulent représenter. De plus, une carte répond à un besoin, pas à d'autres : celle qui permet de préparer un voyage en auto ne peut pas servir à étudier l'économie d'un pays ou à déterminer le site d'atterrissage d'un vaisseau spatial. Quand on utilise une carte pour autre chose que ce pour quoi elle est faite, ou dans une autre situation que celle qu'on avait prévue en l'établissant, elle risque d'égarer. De plus, un pays change : des routes se créent, des villes se développent ; l’érosion, le réchauffement climatique, parfois des tremblements de terre modifient le paysage ; sans cesse on actualise les cartes et on les adapte au service qu’on en attend. Il en va de même des doctrines. Ce qu'elles affirment est juste, mais seulement jusqu'à un certain point et dans un cadre limité. Il faut avoir conscience de leur relativité, sans tomber dans le scepticisme. Elles expriment plus ou moins bien, sans jamais le faire parfaitement une vérité ou une réalité.

 

L’attention aux personnes

Quatrième préoccupation : l’attention à la personne dans son individualité, le respect des cheminements spirituels propres à chacun. Il y a dans le libéralisme une insistance sur l’existentiel et le vécu qui relègue au second plan les systèmes doctrinaux et les appareils ecclésiaux. Les fidèles ne sont pas au service de la doctrine et des églises et n’ont pas à s’y soumettre ; au contraire, les églises et les doctrines sont au service des fidèles, et doivent s’adapter à leurs besoins. L'église n'a pas à dicter à ses membres leurs croyances et leurs attitudes, à leur imposer une dogmatique ou une morale. Elle a pour rôle de les aider à s’informer, à réfléchir, à se forger des convictions personnelles.

Cette insistance sur le vécu a pour conséquence le refus de condamner et de rejeter ceux dont on ne partage pas les options, même si on a le sentiment qu'ils se trompent gravement. On peut et on doit discuter avec eux, essayer de leur expliquer et de les convaincre. On n'a pas le droit de leur imposer silence, de les obliger à se soumettre ou de les traiter avec dédain. Le respect de l'autre demande qu’on accepte la différence et la divergence. Là où l'erreur n'est pas libre, disait Alexandre Vinet, la vérité ne l'est pas non plus. C'est pourquoi les groupes libéraux sont en général pluralistes ; on y admet des positions et des attitudes très diverses, à condition qu’elles acceptent de s’écouter et de dialoguer.

L’importance donnée aux individus ne se confond pas avec le repli individualiste sur soi ; il s’accompagne d’un souci des autres et d’une insistance sur la responsabilité éthique. Ici également, Schweitzer est emblématique : il nourrit une mystique personnelle indépendante et profonde, il n’est pas prisonnier des conformismes ecclésiaux ni soumis aux autorités ecclésiales, même s’il ne rejette pas les églises et leur est même attaché ; il a une totale liberté doctrinale, qui va parfois très loin ; il se montre par exemple très audacieux dans le cours qui a été publié sous le titre « une pure volonté de vie », dont j’ai parlé en 2005 au colloque organisé à l’université Marc Bloch par notre regretté ami Bernard Kaempf. Ce n’est pas malgré son individualisme, mais parce qu’il est un individualiste que Schweitzer a un sens très exigeant de sa responsabilité envers les autres. Il ne se décharge pas du soin d’autrui sur des organismes sociaux, sur des commissions, sur des spécialistes. Il s’engage personnellement. La misère du monde, c’est son affaire, c’est l’affaire de chacun de nous et il faut s’en occuper. Croire implique qu’on pense, qu’on réfléchisse et aussi qu’on agisse et s’engage. La foi est indissociablement une mystique (une expérience spirituelle) et une éthique, comme le souligne souvent Schweitzer. Un individualisme authentique a toujours une dimension communautaire.

 

L’ouverture aux non chrétiens

Cinquième et dernière préoccupation : l’ouverture aux non chrétiens, le souci de dialoguer avec eux. Les non chrétiens, ce sont d’abord les athées. Le protestantisme libéral a beaucoup dialogué avec les libres penseurs à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Nous en avons un exemple avec Charles Wagner, un alsacien installé à Paris, qui s’est efforcé dans des textes écrits pour l’école laïque de formuler le message évangélique dans un langage non religieux ; Schweitzer a aussi traduit le message de l’évangile dans un vocabulaire non ecclésial en parlant de « respect de la vie ».

Autre exemple : le travail de Laurent Gagnebin sur grands auteurs athées de la seconde moitié du vingtième siècle. Le titre qu’il a donné à la réédition récente de ses livres « l’athéisme nous interroge » est significatif : il ne s’agit pas d’interroger l’athéisme, mais de l’écouter, de se laisser interpeller par lui, car ce qu’il dit nous permet de percevoir nos manques, nos insuffisances, nos défauts. Ouverture aux autres, parce que les autres ont des choses à nous dire et à nous apprendre, tout autant qu’ils en ont à recevoir de nous.

Les non chrétiens, ce sont aussi les fidèles des autres religions. Le christianisme classique, à quelques exceptions près, a condamné sévèrement les religions non chrétiennes. Il a affirmé qu'il y a une seule révélation, celle dont témoigne la Bible. Ce qu’on rencontre ailleurs est faux, mensonger, peut-être diabolique. On a longtemps appelé « infidèles » (au sens d’étrangers à la foi véritable) les bouddhistes, les hindouistes, les musulmans, etc. De nombreux libéraux, au contraire, pensent que Dieu agit et se manifeste partout dans le monde, et qu’on trouve en dehors du judéo-christianisme d'authentiques va leurs spirituelles. Des théologiens libéraux, tels que Troeltsch, Schweitzer, Tillich, Hick, Cobb, se sont préoccupés du dialogue interreligieux. Souvent, on leur a reproché cette ouverture dont on craignait qu’elle ne les conduise à abandonner ou à atténuer l’exclusivité de l’évangile. Mais qu’il soit pour nous la référence privilégiée et la norme suprême, nous oblige-t-il à mépriser et à écarter les spiritualités non chrétiennes ? Devons-nous au nom de l'évangile récuser Gandhi ou le dalaï-lama, condamner le soufisme, et juger impies ou idolâtres les grands spirituels de l’Inde ou de la Chine ? Beaucoup de protestants libéraux estiment que si les chrétiens ont des choses à apporter aux autres, ils en ont aussi à recevoir d’eux. Cette attitude, naguère minoritaire, tend aujourd’hui à se généraliser. Actuellement, toutes les églises se demandent quelle signification donner, quelle valeur accorder aux autres religions, et quelles relations établir avec elles.

 

Conclusion

Voilà les cinq thèmes que j’ai choisis pour caractériser le protestantisme libéral. Je conclus par une remarque que j’entends souvent. Si le protestantisme libéral, nous dit-on, a mené naguère des combats nécessaires, il n'a plus aujourd'hui grand sens, il a perdu sa raison d’être parce qu'il enfonce des portes largement ouvertes. La grande majorité des chrétiens ne partagent-ils pas les préoccupations et orientations que je viens de définir, alors qu'ils ne se considèrent nullement comme libéraux ?

Cette remarque ne manque pas de pertinence et de justesse. On rencontre beaucoup de libéraux qui s'ignorent, voire qui refusent cette étiquette. Dans les Églises, les idées libérales ont largement fait leur chemin, se sont en grande partie imposées. Dans aucune Faculté de théologie, par exemple, on ne conteste actuellement la nécessité d'une critique historique de la Bible. Toutes les grandes Églises s'interrogent sur les possibles révision de leurs doctrines, et s'intéressent au dialogue entre religions. Un orthodoxe du dix-neuvième siècle qui reviendrait parmi nous estimerait probablement que le libéralisme a triomphé dans le protestantisme et s'est largement répandu dans le catholicisme.

Toutefois, deux remarques viennent nuancer ce constat, et conduisent à affirmer que le libéralisme a encore un rôle à jouer, une mission à remplir.
- D'abord, diffuser des idées, entretenir des débats, maintenir une attitude d'ouverture est une tâche qui n'est jamais achevée ; chaque époque doit la reprendre. Si certaines des idées du protestantisme libéral se sont répandues, au point qu'on considère qu'elles ne lui appartiennent plus, tant mieux. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont toujours menacées, et qu'il faut les cultiver. On n'est pas libéral une fois pour toutes ; on le devient à chaque instant par un effort et une vigilance toujours à renouveler.
- Ensuite, dans le monde chrétien, de courants antilibéraux se manifestent fortement et on a même parfois l’impression qu’après avoir été affaiblis, ils reprennent aujourd’hui de la vigueur. Ainsi, on assiste à une montée du créationnisme aux États-Unis, au développement d’Églises et de mouvements à tendance fondamentaliste un peu partout dans le monde ; on a le sentiment que Rome, malgré l’ouverture de certains catholiques, favorise à nouveau un doctrinarisme rigide, que dans les pays orthodoxes il y a un grand attrait pour l’obscurantisme. À la conférences des Églises d'Europe, au Conseil Œcuménique des Églises, on est plutôt mal reçu si on critique, par exemple, le dogme trinitaire, si on y voit une expression discutable et relative, et non le fondement de la foi chrétienne.

Aussi, le combat du protestantisme libéral me semble ne rien avoir perdu de sa nécessité et de son actualité. Ce combat ne me paraît pas plus difficile qu'autrefois et naguère. Il s'agit de lutter contre l’autoritarisme religieux (y compris contre le nôtre), de se battre pour maintenir l'ouverture et la recherche en dépit du confort des idées toutes faites. Je parle de combat ; je précise qu’il ne s’agit pas de susciter des luttes et d’entretenir des polémiques, mais de maintenir une réflexion, de participer à des débats qu'on souhaite fraternels, même avec des adversaires dont on peut comprendre les craintes et écouter les critiques. Le protestantisme libéral ne se considère pas comme un but, mais comme un moyen, un instrument au service des hommes de bonne volonté, libres penseurs ou libres croyants. Il ne prétend pas les enrégimenter sous sa bannière, mais dialoguer avec eux, les aider dans la mesure de ses possibilités, et aussi recevoir et apprendre d'eux.

 

 

 

 

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